mardi 8 novembre 2016

José Maria Sert

José Maria Sert

Introduction :
José Maria Sert y Badia, de son nom complet, nait à Barcelone le 21 décembre 1874 dans une famille de la bourgeoisie industrielle, à la tête d'une manufacture textile. Il meurt le 27 novembre 1945, il sera enterré dans le cloitre de la cathédrale de Vic. Aujourd'hui méconnu il fut encensé par ses contemporains comme le plus grand peintre décorateur de son temps. Nous allons essayer de voir comment cet artiste marginal a pu être ainsi caractérisé?
  1. Un artiste marginal
    1. Biographie de l'artiste
Il démontre dès tout jeune des aptitudes pour le dessin et rejoins la Llotja dans l'idée qu'il se chargerait de l'aspect créatif de l'entreprise familiale. Il fera partie de l'académie de Pere Borell où il assimile les règles du dessin et la pratique d'après modèle. Il assiste aux réunions données par Alexandre Riquer qui lui inculque le gout de l'édition et de la bibliophilie, ainsi que la technique de la gravure et l'esthétique du Modernisme. En 1899 il s'installe à Paris. L'année suivante il réalise les panneaux décoratifs du pavillon de Siegfried Bing à l'exposition universelle de Paris. Cette année-là il partit en Italie pour la première fois et y retourna ensuite tous les ans avec pour port d'attache Venise.
« La leçon de Salamanque » de Jose Maria Sert -
 Plafond de la Salle du Conseil - Palais des Nations - Genève
En 1907 il présente ses premières esquisses à Barcelone dont font partie celles de la cathédrale de Vic. Ses principaux clients sont alors les aristocrates issus de ses relations parisiennes. Il est dès 1914 reconnu comme le créateur de peintures murales en vogue, dont les œuvres sont indispensables dans les grandes résidences d'Europe. Malgré la guerre 14-18 sert mène une intense vie sociale avec sa compagne Misia Edwards. L'atelier fonctionne alors au ralenti mais dès la fin de la guerre sa production reprend de plus belle. En 1920 Misia et lui se marient.
En 1923 il réalise son premier voyage aux Etats-Unis. De 1925 à 1927 le couple fait ménage à trois avec Roussadana Mdivani, ce qui se conclura par le divorce de Sert en 1927 et son remariage avec Roussy (son surnom). Le 2 octobre 1936, alors que la guerre civile espagnole éclate, sont inauguré les peintures murales de la salle Francisco-de- Vittoria (actuelle salle des Conseils) du Palais des Nations à Genève.
    1. L'œuvre de sa vie, la cathédrale de Vic
Il rencontra le commanditaire Torras i Bages lorsqu'il fréquenta le Cercle artistique de Saint Luc. Lorsqu'il partit pour la première fois en Italie, il s'agissait pour lui de trouver l'inspiration. L'hiver 1905 il reçut un premier acompte de 25 000 pesetas pour la réalisation du décor. Le plan de décoration de Vic lui vient lors de sa visite à Assise. Le premier projet a pour thème Le Monde Bienheureux 1900-1916, la conception et la facture de ce qu'il reste c’est-à-dire 2 toiles et des esquisses, sont marquées par les enseignements de son ami Maurice Denis. Sert démontre déjà son gout pour la profusion et l'impact visuel. Du a des problèmes de financement Sert abandonnera peu à peu le projet de la cathédrale. Avec l'arrivée de la Première Guerre mondiale ses assistants Français partent au front et la mort de l'évêque Torras en 1916 marque l'abandon définitif du projet.
 Le Monde bienheureux, 1924-1928
Deuxième projet pour la cathédrale de Vic.
Barcelone, Museo Nacional d’Art de Catalunya
 Le Monde bienheureux, 1924-1928
Deuxième projet pour la cathédrale de Vic.
Barcelone, Museo Nacional d’Art de Catalunya
En 1922 Francesc Cambo, avocat et homme politique catalan, verse l'argent nécessaire pour reprendre le projet de décor de la cathédrale. Le thème est toujours le même mais l'ensemble est revu dans sa conception et sa signification. La couleur est atténuée au profit du bistre, un pigment brun et de l'or, la toile devient quasiment monochrome. La foi chrétienne est représentée comme espoir et lumière qui aurait dut culminer dans les voutes. Il s'appuie sur des photographies de modèles vivants pour les parties sous corniches et pour les parties supérieures utilise des santons. Malheureusement avec la guerre civile espagnole la cathédrale de Vic est incendiée en 1936, la quasi-totalité des peintures seront détruites dans l'incendie.
La Danse de la Mort, 1939-1945
Esquisse pour la troisième décoration de la
cathédrale de Vic, décor de l’abside : 
Le Calvaire – triptyque 
Huile sur toile sur châssis de bois - 250 x 100 m
Vic, Mairie
Il entreprend pour la troisième fois la décoration de la cathédrale de Vic dans ses dernières années qu'il lui consacrera. Les premières peintures sont prêtes dès l'été 1941. Le thème représenté est alors la Danse de la Mort. Le jeu artistique se trouve maintenant dans le jeu de relation des formes et des volumes. L’ensemble de l'église sera peint dans l'idée d'un "amusement optique". Elle est le reflet des temps d'après-guerre, des conflits religieux et a pour but de susciter l'émoi du spectateur. Elle sera inaugurée quelques semaines avant la mort de Sert en 45.
  1. Une œuvre mise en scène
    1. La théâtralisation
Il choisit les éléments qui habillent les pièces comme l'éclairage ou les meubles qu'il lui arrive de dessiner. Il travaille sur l'espace et joue avec la perception du spectateur par une mise en abime. Les mondes qu'il peint ont pour but d'inciter à la rêverie, à l'imagination et l'amusement comme une pièce de théâtre. Sert veut par son décor modifier l'espace. Il s'inspire principalement de modèles italiens « car on voit bien […] que le but de la peinture est le trompe-l'œil ». Il aspire à créer des ambiances fastueuses en lien avec le milieu mondain des lieux auxquels ses œuvres sont destinées.
Il peint sur support amovible le plus souvent constitués de bois qui permettent de dissimuler l'architecture derrière l'œuvre. Il se libère de la contrainte du mur grâce à des artifices visuels, a des premiers plans rapprochés du spectateur, des personnages sur différents niveaux comme sur des scènes ainsi qu'une accentuation des gestes et des mouvements. Il développe différents thèmes dans les années 1920 qui sont le théâtral, l'exotique, l'artificiel, le grotesque et le fictif. Sert arrive à mettre en œuvre des émotions qui peuvent être communes a tous dans ses toiles par des objets ou scènes qu'il rend accessibles à un large public. Il se sert du monde qui l'entoure afin de réaliser ses œuvres, et utilise des images-icones qui par leur répétition sont devenus des motifs décoratifs.
osé María Sert. Les quatre saisons -
salle à manger Arthur Capel -
 «Amérique ou l'hiver»
, 1917-1919.
Huile et argent sur bois. 363 x 560 cm.


Les quatre saisons -
salle à manger Arthur Capel -
«Europe ou l'automne»
, 1917-1919.Huile et argent sur bois. 363 x 551 cm.

Les quatre saisons -
salle à manger Arthur Capel -
«Afrique ou l'été»
, 1917-1919.Huile et argent sur bois, 310 x 173 cm. 
Les quatre saisons - salle à manger Arthur Capel -
«Asie ou le printemps»
 (partie centrale),
1917-1919. Huile et argent sur bois.
Réalisée entre 1917 et 1919 pour la salle à manger d'Arthur Capel, Les Quatre Saisons sont associées au monde. Il cherche alors à établir une continuité entre l'espace réel et la peinture. Il éclaire ses peintures de telle manière qu’elles offrent un aspect très théâtralisé. Cela est amplifié par l'utilisation d'une large gamme de couleur et de la mise en avant de la « scène » peinte. Les arts du spectacle se trouvent au centre de l'œuvre de l'artiste comme avec Scènes de cirque en 1920. Il s'agit d'un paravent pour le boudoir de Victoire Eugénie, reine d'Espagne. Sert s'intéresse à la variété des tenues et déguisements. Œuvre monochrome avec pour seul touche de couleur créant un contraste le gigantesque rideau bleu. Les figures sont placées en premier plan sur la scène avec un effet très théâtral une fois encore. La mise en scène est rythmée et spectaculaire.
Scènes de cirque, 1920
Paravent pour le boudoir de Victoire
Eugénie, reine d’Espagne.
Huile sur étain sur bois - 275 x 400 cm
Madrid, Patrimonio nacional-Palacio de El Pardo
    1. Un peintre photographe
Dès sa jeunesse Sert possédait des « collections complètes de photographies ». Il s'est servi de la photographie comme d'un outil de travail. Lors de son nombreux voyage il prend des photos qui lui permettent de nourrir son imaginaire. Chaque élément pris en photo est classé et lui sert dans ses toiles. Il était ainsi très attaché au motif et au final son processus de création bien qu'axé principalement sur la fiction était basé sur le réel. Leur utilisation est très présente dans les décors privés mais quasiment absente dans ceux publics.
La pratique de la photographie par Sert dans son atelier semble commencer dès son arrivée à Paris. Elle lui permet de réduire le temps de pose des modèles mais aussi de produire plus rapidement certaines œuvres par la possibilité de reproduction des motifs. C'est probablement cette répétition de différents motifs qui permis à l'atelier de Sert une si grande productivité, c’est-à-dire plus de 40 œuvres. Il remplacera peu à peu la prise de vue du modèle vivant par des figures mobiles inanimées: des santons de crèche puis les mannequins. Sert attribue à la photographie une valeur d'esquisse.
Les élégies du peuple basque - ancienne église San Telmo - 
esquisse pour «Peuple de forgerons». 95 x 105 cm. 
Décor pour l'ancienne église San Telmo, San Sebastián, 1932, charbon sur papier

Etude photographique pour La Défense de l’Alcázar, 1939.
 Tolède, chapelle de l’Alcázar, «Vers la Victoire», 1939. 
Epreuve d’époque sur papier argentique noir et 
blanc avec mise au carreau et reprise au pastel noir. 24 x 30 cm. 
Galerie Michèle Chomette, Paris.
En 1932 il réalise Les Elégies du peuple basque pour l'église de San Telmo, à Saint-Sébastien, Il réalise onze toiles sur fond de feuilles d'or. Il raconte l'histoire du peuple basque et met en valeur le sentiment nationaliste. Il puise ses références dans la littérature et fabrique ses montages photographiques à l'aide de santons et modèles vivants. Les études photographiques pour la réalisation de La Défense de l'Alcazar de 1940-42, resté à l'état d'esquisse, réutilisent les santons associés au mannequin de bois afin de rendre la sensation de masse et de mouvement collectif. Sert réalise alors beaucoup plus de clichés que nécessaire afin de réaliser ses compositions.
    1. L'atelier
L'un des aspects les plus controversé de la méthode de Sert est qu'il travaille avec un atelier ou chaque étape de la création est accompli par un artisan spécialisé et que sert se resserve le rôle du maitre, c’est-à-dire la direction et coordination, l'idée du projet, l'esquisse et les retouches finales. Vu le nombre de décor monumental qu'il a réalisé on comprend facilement qu'il n'ait pu réaliser un tel programme tout seul. Il peignait dans son atelier les toiles qui étaient ensuite transposées dans leur lieu de destination, il n'a donc jamais réalisé de fresques à proprement parler.
Il travaille seul jusqu’à ce que l'esquisse de Vic soit acceptée par la commission. La formation d'un atelier comme celui de Puvis de Chavanne qui lui aurait été proposée par un de ses aidants aurait été la méthode la plus logique pour réaliser son travail dans un temps restreint. En 1914 cinq assistants travaillent pour Sert, quatre Français qui partent au front et un espagnol. La Chataigneraye et Miquel Massot seront ses principaux assistants et ce même après sa mort pour Massot qui continua son travail. Le travail précis exécuté par les assistants est difficile à déterminer tant et si bien qu'ils servirent même de modèles à Sert.
Même s'il changeait fréquemment de lieu d'habitation, il garda une certaine fixité au niveau de son atelier. La manière presque industrielle dont était organisé le fonctionnement de son atelier n'est pas sans rappeler l'industrie familiale « Sert Hermanos » qui lui avait montré l'efficacité du travail par répartition des tâches.
  1. Une réception en plusieurs temps
    1. Admiré pendant l'entre-deux guerres
Lorsqu'il réalise les panneaux décoratifs du pavillon de Siegfried Bing en 1900 José Maria Sert est complètement ignoré par la critique. Lorsqu'en 1907 il présente des esquisses de Vic au salon d'automne et qu'il rencontre Misia Edwards sa carrière s'envole. Ses décors qui pour certains sont exposés au salon d'automne reçoivent un bon accueil de la critique et il acquiert très vite une certaine notoriété.
Son ascension prend de l'ampleur lors de la reprise du chantier de Vic qui est soumis à une forte médiatisation. En 1924 se confirme cette ascension avec une exposition chez Wildenstein à New-York lors de son deuxième voyage aux Etats-Unis. Sa réputation outre-mer ne fait alors que s'accroitre. Sa renommée mondiale s'assoit définitivement avec le succès phénoménal de ses peintures et ce en 1926 lorsqu'il expose les toiles du nouveau projet de Vic au jeu de Paume et leur installation en 27. Venant d'Europe et des Etats Unis les commandes privées et publics affluent.
Les Noces de CamachoTrapèzes, 1931
Salon Sert de l’hôtel Waldorf Astoria 
Noir et or sur toile - 420 x 250 cm
Madrid, collection Santander
Sert assoit définitivement sa renommée aux Etats-Unis en 1931 avec le décor du Waldorf Astoria. Il emprunte le thème à Miguel de Cervantès, auteur de Don Quichotte, puisqu'il illustre le panneau central intitulé Les Noces de Camacho avec le chapitre 21. Il affirme par ce choix ses racines culturelles espagnoles et son gout pour le baroque. Sur les 15 panneaux aujourd'hui démontés la thématique est festive et théâtrale. On ressent l'influence de l'œuvre grotesque de Goya au niveau des figures. Le décor est essentiellement monochrome sur fond or avec quelques rehauts de rouge.
Son mariage avec Roussy est un tout aussi grand avantage social que celui de son précèdent mariage qui scelle la réputation de Sert dont on associe encore aujourd'hui le nom et l'œuvre au luxe. Au lendemain de sa mort, l'ensemble de sa vie et son œuvre est encensée par la presse et la ville entière est en deuil. Son ami Paul Claudel dira d'ailleurs dans Le Figaro publié le 14 décembre 1945 « José Maria Sert est mort! José Maria Sert est mort! Nouvelle déchirante! Je perds le plus cher et le plus précieux de mes amis, et l'art perd le dernier représentant de la grande peinture. »
    1. Dénigré puis oublié par la suite
L'œuvre photographique de Sert étonnamment fournie n'est jamais citées dans les ouvrages traitant du sujet et cela par l'oubli dans lequel est tombé l'œuvre de l'artiste. En effet la dernière grande exposition sur Sert remonte en France à 1926. En Espagne une rétrospective lui a été consacrée en 1987 mais elle n'a eu aucune répercussion en France.
De plus les travaux des historiens se sont principalement intéresser après la seconde guerre mondiale aux mouvements de rupture, et donc celui des avant-gardes dont José Maria Sert se démarquait. Son coté franquiste n'ayant apparemment pas aidé les choses.
L'abandon d'intérêt pour l'artiste est aussi lié à la difficulté d'exposition des œuvres puisqu'un décor sorti de son contexte n'en est plus un, la peinture décorative doit être montrée dans in situ. De plus les œuvres de Sert bien que amovibles sont monumentales et souvent trop lourdes pour être déplacées ce qui rend compliqué et coûteuse la chose. Enfin la plupart de la commande de Sert est une commande privée et donc soustraite au regard du public.

Conclusion:
José Maria Sert y Badia a ainsi toujours été dans de milieux sociaux élevés côtoyant les grands du monde et s'est marié avec deux femmes tout aussi importante l'une que l'autre pour son ascension sociale. Il fut grand voyageur et admiré en Europe et aux Etats-Unis. Ses décors monumentaux autant privés que publics firent son succès tant et si bien qu'aux yeux de ses contemporains il reflétait « l'héritage des grands maitres de la fin de la renaissance et du baroque, ainsi que la reformulation moderne de la peinture murale ». Il se plaçait ainsi dans la continuité de la grande peinture murale, théâtralisant ses scènes avec l'aide de la photographie dont il se mit à faire un usage quasi constant et ce avec l'aide d'un atelier très bien organisé. Aujourd'hui les historiens recommencent à s'intéresser peu à peu à ce peintre.

Bibliographie :