José Maria Sert
Introduction :
José
Maria Sert y Badia, de son nom complet, nait à Barcelone le 21
décembre 1874 dans une famille de la bourgeoisie industrielle, à la
tête d'une manufacture textile. Il meurt le 27 novembre 1945, il
sera enterré dans le cloitre de la cathédrale de Vic. Aujourd'hui
méconnu il fut encensé par ses contemporains comme le plus grand
peintre décorateur de son temps. Nous allons essayer de voir comment
cet artiste marginal a pu être ainsi caractérisé?
- Un artiste marginal
- Biographie de l'artiste
Il
démontre dès tout jeune des aptitudes pour le dessin et rejoins la
Llotja dans l'idée qu'il se chargerait de l'aspect créatif de
l'entreprise familiale. Il fera partie de l'académie de Pere Borell
où il assimile les règles du dessin et la pratique d'après modèle.
Il assiste aux réunions données par Alexandre Riquer qui lui
inculque le gout de l'édition et de la bibliophilie, ainsi que la
technique de la gravure et l'esthétique du Modernisme. En 1899 il
s'installe à Paris. L'année suivante il réalise les panneaux
décoratifs du pavillon de Siegfried Bing à l'exposition universelle
de Paris. Cette année-là il partit en Italie pour la première
fois et y retourna ensuite tous les ans avec pour port d'attache
Venise.
« La leçon de Salamanque » de Jose Maria Sert - Plafond de la Salle du Conseil - Palais des Nations - Genève |
En
1923 il réalise son premier voyage aux Etats-Unis. De 1925 à 1927
le couple fait ménage à trois avec Roussadana Mdivani, ce qui se
conclura par le divorce de Sert en 1927 et son remariage avec Roussy
(son surnom). Le 2 octobre 1936, alors que la guerre civile espagnole
éclate, sont inauguré les peintures murales de la salle
Francisco-de- Vittoria (actuelle salle des Conseils) du Palais des
Nations à Genève.
- L'œuvre de sa vie, la cathédrale de Vic
Il
rencontra le commanditaire Torras i Bages lorsqu'il fréquenta le
Cercle artistique de Saint Luc. Lorsqu'il partit pour la première
fois en Italie, il s'agissait pour lui de trouver l'inspiration.
L'hiver 1905 il reçut un premier acompte de 25 000 pesetas pour la
réalisation du décor. Le plan de décoration de Vic lui vient lors
de sa visite à Assise. Le premier projet a pour thème Le
Monde Bienheureux
1900-1916, la conception et la facture de ce qu'il reste
c’est-à-dire 2 toiles et des esquisses, sont marquées par les
enseignements de son ami Maurice Denis. Sert démontre déjà son
gout pour la profusion et l'impact visuel. Du a des problèmes de
financement Sert abandonnera peu à peu le projet de la cathédrale.
Avec l'arrivée de la Première Guerre mondiale ses assistants
Français partent au front et la mort de l'évêque Torras en 1916
marque l'abandon définitif du projet.
Le Monde bienheureux, 1924-1928 Deuxième projet pour la cathédrale de Vic. Barcelone, Museo Nacional d’Art de Catalunya |
Le Monde bienheureux, 1924-1928 Deuxième projet pour la cathédrale de Vic. Barcelone, Museo Nacional d’Art de Catalunya |
En
1922 Francesc Cambo, avocat et homme politique catalan, verse
l'argent nécessaire pour reprendre le projet de décor de la
cathédrale. Le thème est toujours le même mais l'ensemble est revu
dans sa conception et sa signification. La couleur est atténuée au
profit du bistre, un pigment brun et de l'or, la toile devient
quasiment monochrome. La foi chrétienne est représentée comme
espoir et lumière qui aurait dut culminer dans les voutes. Il
s'appuie sur des photographies de modèles vivants pour les parties
sous corniches et pour les parties supérieures utilise des santons.
Malheureusement avec la guerre civile espagnole la cathédrale de Vic
est incendiée en 1936, la quasi-totalité des peintures seront
détruites dans l'incendie.
La Danse de la Mort, 1939-1945 Esquisse pour la troisième décoration de la cathédrale de Vic, décor de l’abside : Le Calvaire – triptyque Huile sur toile sur châssis de bois - 250 x 100 m Vic, Mairie |
- Une œuvre mise en scène
- La théâtralisation
Il
choisit les éléments qui habillent les pièces comme l'éclairage
ou les meubles qu'il lui arrive de dessiner. Il travaille sur
l'espace et joue avec la perception du spectateur par une mise en
abime. Les mondes qu'il peint ont pour but d'inciter à la rêverie,
à l'imagination et l'amusement comme une pièce de théâtre. Sert
veut par son décor modifier l'espace. Il s'inspire principalement de
modèles italiens « car
on voit bien […] que le but de la peinture est le trompe-l'œil ».
Il aspire à créer des ambiances fastueuses en lien avec le milieu
mondain des lieux auxquels ses œuvres sont destinées.
Il
peint sur support amovible le plus souvent constitués de bois qui
permettent de dissimuler l'architecture derrière l'œuvre. Il se
libère de la contrainte du mur grâce à des artifices visuels, a
des premiers plans rapprochés du spectateur, des personnages sur
différents niveaux comme sur des scènes ainsi qu'une accentuation
des gestes et des mouvements. Il développe différents thèmes dans
les années 1920 qui sont le théâtral, l'exotique, l'artificiel, le
grotesque et le fictif. Sert arrive à mettre en œuvre des émotions
qui peuvent être communes a tous dans ses toiles par des objets ou
scènes qu'il rend accessibles à un large public. Il se sert du
monde qui l'entoure afin de réaliser ses œuvres, et utilise des
images-icones qui par leur répétition sont devenus des motifs
décoratifs.
osé María Sert. Les quatre saisons - salle à manger Arthur Capel - «Amérique ou l'hiver», 1917-1919. Huile et argent sur bois. 363 x 560 cm. |
Les quatre saisons - salle à manger Arthur Capel - «Europe ou l'automne», 1917-1919.Huile et argent sur bois. 363 x 551 cm. |
Les quatre saisons - salle à manger Arthur Capel - «Afrique ou l'été», 1917-1919.Huile et argent sur bois, 310 x 173 cm. |
Les quatre saisons - salle à manger Arthur Capel - «Asie ou le printemps» (partie centrale), 1917-1919. Huile et argent sur bois. |
Réalisée
entre 1917 et 1919 pour la salle à manger d'Arthur Capel, Les
Quatre Saisons
sont associées au monde. Il cherche alors à établir une continuité
entre l'espace réel et la peinture. Il éclaire ses peintures de
telle manière qu’elles offrent un aspect très théâtralisé.
Cela est amplifié par l'utilisation d'une large gamme de couleur et
de la mise en avant de la « scène » peinte. Les arts du
spectacle se trouvent au centre de l'œuvre de l'artiste comme avec
Scènes
de cirque
en 1920. Il s'agit d'un paravent pour le boudoir de Victoire Eugénie,
reine d'Espagne. Sert s'intéresse à la variété des tenues et
déguisements. Œuvre monochrome avec pour seul touche de couleur
créant un contraste le gigantesque rideau bleu. Les figures sont
placées en premier plan sur la scène avec un effet très théâtral
une fois encore. La mise en scène est rythmée et spectaculaire.
Scènes de cirque, 1920 Paravent pour le boudoir de Victoire Eugénie, reine d’Espagne. Huile sur étain sur bois - 275 x 400 cm Madrid, Patrimonio nacional-Palacio de El Pardo |
- Un peintre photographe
Dès
sa jeunesse Sert possédait des « collections
complètes de photographies ».
Il s'est servi de la photographie comme d'un outil de travail. Lors
de son nombreux voyage il prend des photos qui lui permettent de
nourrir son imaginaire. Chaque élément pris en photo est classé et
lui sert dans ses toiles. Il était ainsi très attaché au motif et
au final son processus de création bien qu'axé principalement sur
la fiction était basé sur le réel. Leur utilisation est très
présente dans les décors privés mais quasiment absente dans ceux
publics.
La
pratique de la photographie par Sert dans son atelier semble
commencer dès son arrivée à Paris. Elle lui permet de réduire le
temps de pose des modèles mais aussi de produire plus rapidement
certaines œuvres par la possibilité de reproduction des motifs.
C'est probablement cette répétition de différents motifs qui
permis à l'atelier de Sert une si grande productivité, c’est-à-dire
plus de 40 œuvres. Il remplacera peu à peu la prise de vue du
modèle vivant par des figures mobiles inanimées: des santons de
crèche puis les mannequins. Sert attribue à la photographie une
valeur d'esquisse.
Les élégies du peuple basque - ancienne église San Telmo - esquisse pour «Peuple de forgerons». 95 x 105 cm. Décor pour l'ancienne église San Telmo, San Sebastián, 1932, charbon sur papier. |
En 1932 il réalise Les Elégies du peuple basque pour l'église de San Telmo, à Saint-Sébastien, Il réalise onze toiles sur fond de feuilles d'or. Il raconte l'histoire du peuple basque et met en valeur le sentiment nationaliste. Il puise ses références dans la littérature et fabrique ses montages photographiques à l'aide de santons et modèles vivants. Les études photographiques pour la réalisation de La Défense de l'Alcazar de 1940-42, resté à l'état d'esquisse, réutilisent les santons associés au mannequin de bois afin de rendre la sensation de masse et de mouvement collectif. Sert réalise alors beaucoup plus de clichés que nécessaire afin de réaliser ses compositions.
- L'atelier
L'un
des aspects les plus controversé de la méthode de Sert est qu'il
travaille avec un atelier ou chaque étape de la création est
accompli par un artisan spécialisé et que sert se resserve le rôle
du maitre, c’est-à-dire la direction et coordination, l'idée du
projet, l'esquisse et les retouches finales. Vu le nombre de décor
monumental qu'il a réalisé on comprend facilement qu'il n'ait pu
réaliser un tel programme tout seul. Il peignait dans son atelier
les toiles qui étaient ensuite transposées dans leur lieu de
destination, il n'a donc jamais réalisé de fresques à proprement
parler.
Il
travaille seul jusqu’à ce que l'esquisse de Vic soit acceptée par
la commission. La formation d'un atelier comme celui de Puvis de
Chavanne qui lui aurait été proposée par un de ses aidants aurait
été la méthode la plus logique pour réaliser son travail dans un
temps restreint. En 1914 cinq assistants travaillent pour Sert,
quatre Français qui partent au front et un espagnol. La
Chataigneraye et Miquel Massot seront ses principaux assistants et ce
même après sa mort pour Massot qui continua son travail. Le travail
précis exécuté par les assistants est difficile à déterminer
tant et si bien qu'ils servirent même de modèles à Sert.
Même
s'il changeait fréquemment de lieu d'habitation, il garda une
certaine fixité au niveau de son atelier. La manière presque
industrielle dont était organisé le fonctionnement de son atelier
n'est pas sans rappeler l'industrie familiale « Sert Hermanos »
qui lui avait montré l'efficacité du travail par répartition des
tâches.
- Une réception en plusieurs temps
- Admiré pendant l'entre-deux guerres
Lorsqu'il
réalise les panneaux décoratifs du pavillon de Siegfried Bing en
1900 José Maria Sert est complètement ignoré par la critique.
Lorsqu'en 1907 il présente des esquisses de Vic au salon d'automne
et qu'il rencontre Misia Edwards sa carrière s'envole. Ses décors
qui pour certains sont exposés au salon d'automne reçoivent un bon
accueil de la critique et il acquiert très vite une certaine
notoriété.
Son
ascension prend de l'ampleur lors de la reprise du chantier de Vic
qui est soumis à une forte médiatisation. En 1924 se confirme cette
ascension avec une exposition chez Wildenstein à New-York lors de
son deuxième voyage aux Etats-Unis. Sa réputation outre-mer ne fait
alors que s'accroitre. Sa renommée mondiale s'assoit définitivement
avec le succès phénoménal de ses peintures et ce en 1926 lorsqu'il
expose les toiles du nouveau projet de Vic au jeu de Paume et leur
installation en 27. Venant d'Europe et des Etats Unis les commandes
privées et publics affluent.
Les Noces de Camacho, Trapèzes, 1931 Salon Sert de l’hôtel Waldorf Astoria Noir et or sur toile - 420 x 250 cm Madrid, collection Santander |
Son
mariage avec Roussy est un tout aussi grand avantage social que celui
de son précèdent mariage qui scelle la réputation de Sert dont on
associe encore aujourd'hui le nom et l'œuvre au luxe. Au lendemain
de sa mort, l'ensemble de sa vie et son œuvre est encensée par la
presse et la ville entière est en deuil.
Son
ami Paul Claudel dira d'ailleurs dans Le Figaro publié le 14
décembre 1945 « José
Maria Sert est mort! José Maria Sert est mort! Nouvelle déchirante!
Je perds le plus cher et le plus précieux de mes amis, et l'art perd
le dernier représentant de la grande peinture. »
- Dénigré puis oublié par la suite
L'œuvre
photographique de Sert étonnamment fournie n'est jamais citées dans
les ouvrages traitant du sujet et cela par l'oubli dans lequel est
tombé l'œuvre de l'artiste. En effet la dernière grande
exposition sur Sert remonte en France à 1926. En Espagne une
rétrospective lui a été consacrée en 1987 mais elle n'a eu aucune
répercussion en France.
De
plus les travaux des historiens se sont principalement intéresser
après la seconde guerre mondiale aux mouvements de rupture, et donc
celui des avant-gardes dont José Maria Sert se démarquait. Son coté
franquiste n'ayant apparemment pas aidé les choses.
L'abandon
d'intérêt pour l'artiste est aussi lié à la difficulté
d'exposition des œuvres puisqu'un décor sorti de son contexte n'en
est plus un, la peinture décorative doit être montrée dans in
situ. De plus les œuvres de Sert bien que amovibles sont
monumentales et souvent trop lourdes pour être déplacées ce qui
rend compliqué et coûteuse la chose. Enfin la plupart de la commande
de Sert est une commande privée et donc soustraite au regard du
public.
Conclusion:
José
Maria Sert y Badia a ainsi toujours été dans de milieux sociaux
élevés côtoyant les grands du monde et s'est marié avec deux
femmes tout aussi importante l'une que l'autre pour son ascension
sociale. Il fut grand voyageur et admiré en Europe et aux
Etats-Unis. Ses décors monumentaux autant privés que publics firent
son succès tant et si bien qu'aux yeux de ses contemporains il
reflétait « l'héritage
des grands maitres de la fin de la renaissance et du baroque, ainsi
que la reformulation moderne de la peinture murale ».
Il se plaçait ainsi dans la continuité de la grande peinture
murale, théâtralisant ses scènes avec l'aide de la photographie
dont il se mit à faire un usage quasi constant et ce avec l'aide
d'un atelier très bien organisé. Aujourd'hui les historiens
recommencent à s'intéresser peu à peu à ce peintre.
Bibliographie :
- Alfonso de la Serna, Les Peintures murales de José Maria Sert dans la salle Francisco-de-Vitoria salle des Conseils, Nation Unies, New York, 1985
- Pilar Sáez Lacave (collectif), José María Sert, 1874-1945, le Titan à l'œuvre, Paris-musées, Paris, 2012
- Rossella Froissart-Pezone, Laurent Houssais, Jean-François Luneau, Du romantisme à l'art déco, presses universitaires de Rennes, Rennes, 2011
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