mardi 13 septembre 2016

La cité de la Muette, Drancy, 1931-1934

Eugène Beaudouin, Marcel Lods et Bodiansky, La cité de la Muette, Drancy, 1931-1934
La cité de la Muette à Drancy, 1930-1940, Edition Godneff (2 Fi Drancy 70)
Introduction:


1931-1934. Cité de la Muette, Drancy : 
vue aérienne, n.d. (cliché Marcel Lods). 
La cité se situe au croisement de l'avenue Jean Jaurès avec les rues Fontaine et Blanqui à Drancy en Seine-Saint-Denis. Elle a été commandée par Henri Sellier, né en 1883 et mort en 1943, qui est à l'époque président de l'Office Publique d'Habitation à Bon Marché, également connu comme maire de Suresnes et ce de 1919 à 1941. Le projet sera confié aux architectes Eugène Beaudouin né le 20 juillet 1898 et mort le 14 janvier 1983 et Marcel Lods né 16 aout 1891 et mort le 9 septembre 1978. Ils se rencontrent à l'école des Beaux-Arts de Paris dans l'atelier d'Emmanuel Pontremoli, architecte né en 1965 et mort en 1956. En 1923 Lods rejoins l'agence d'Albert Beaudouin oncle de notre architecte qui lui reprend les affaires de son père Léon Beaudouin architecte également. En 1925 Beaudouin et Lods s'associent en reprenant l'affaire de l'oncle de Beaudouin et héritent ainsi de la clientèle des sociétés d'Habitation à Bon Marché (HBM) et Société des Logements Economiques pour Familles Nombreuses (SALEFN) , continuant ainsi dans le début des années 30 à édifier des immeubles dans Paris et sa banlieue. Leur collaboration qui durera une quinzaine d'années permettra à de nombreux projets de voir le jour comme la Maison du Peuple à Clichy construite entre 1937 et 1939, en collaboration avec Jean Prouvé et Vladimir Bodiansky qui rejoignent également nos architectes pour la réalisation de La Cité de la Muette qui ne sera jamais achevée. Comment ce projet loin d'être achevé a-t ‘il pu marquer et être marqué par l'histoire?

Un projet innovant

Une cité jardin verticale

Fonds Lods, Marcel (1891-1978) (et Association Beaudouin et Lods)
1931-1934. Cité de la Muette, Drancy :
vue d'une variante de maquette, n.d. (cliché anonyme).
 (
Objet LODS-H-31Dossier 323 AA 406/1Doc. ML-PHO-048-05-07).
Henri sellier pensait la forme urbaine de la cité jardin anglaise comme idéale puisque faisant l’union des bienfaits de la ville et de la campagne. La cité s'inspire également des siedlungen allemandes qui sont en fait des citées jardin. Beaudouin et Lods avaient pour projet de construire une cité idéale fonctionnelle. Ils veulent y réaliser un espace de vie sociale "totale" qui serait je cite la "réalisation intégrale de ce que Marcel Lods a toujours défendu". Elle devait être constituée "des immeubles avec ascenseurs, chauffage central, évacuation pneumatique des ordures, un standing bien meilleur- et un grand parc central pour les enfants, sans véhicule aucun. Par logement social en effet, il faut entendre tout ce qui concernait la vie sociale-totale: l'habitat, mais aussi l'école, le dispensaire, les terrains de jeux..." La Zone Verte a Sotteville-lès-Rouen réalisée entre 1947 et 1956 sera par ailleurs construite sur une base similaire: "libération du sol, espaces verts, orientation nettement affirmée et sans concession, circulations séparée, vue directe maximum, locaux communautaires inclus dans l'ilot, bref, la cité résidentielle de notre temps», elle est constituée de 6 immeubles : immeuble collectif d'état, immeubles rationalisés préfinancés , logements économiques familiaux et habitation à loyer modéré. Le projet de La cité de la Muette est envisagé sur le terrain de la muette acquis en 1925 par l'Office public d'HBM de la Seine, il débutera en 1929. Initialement seules des barres sont prévue puis, vers 1931, 5 tours de 14 étages mesurant environs 50m de hauteur accueillent 280 logements HBM améliorés. Les 970 autres sont prévus dans les 10 immeubles en peignes et redents reparties sur le terrain. Le U serait constitué de 4 étages et est construit en 1933 afin d'accueillir 360 logements. Les tours qui permettent de caractériser comme verticale notre cité jardin furent réalisés entre 1932 et 1935.

Des innovations techniques

Fonds Lods, Marcel (1891-1978) (et Association Beaudouin et Lods)
1927-1978. Cité du Champ-des-Oiseaux, Bagneux :
 vue de la maquette, n.d. (cliché anonyme).
(
Objet LODS-I-27Dossier 323 AA 400/12Doc. ML-PHO-002-12-04).
Fonds Lods, Marcel (1891-1978) (et Association Beaudouin et Lods)
1927-1978. Cité du Champ-des-Oiseaux, Bagneux :
vue de l'ossature métallique d'un bâtiment en chantier, n.d.
(
Objet LODS-I-27Dossier 323 AA 405/5Doc. ML-PHO-002-13-13).
 Beaudouin et Lods y utilisent le système de l’ingénieur Eugène Mopin qu’ils reprendront à la cité du Champ des Oiseaux à Bagneux dans les Hauts de Seine en Ile de France , réalisé par Beaudouin, Lods et Marcel Sarrazin commandé par la Société anonyme des Habitations à Bon Marché ( SAHBM), regroupant 972 logements et réalisées en 3 phases 1927-1933 pour les deux premières et 1939 pour la troisième. Le système de l'ingénieur Mopin consiste en une charpente d'acier légère à laquelle sont fixées des unités de sols, de murs et de fenêtres préfabriquées en béton. Le revêtement est constitué de panneaux brut en T accrochés aux plaques d'acier à 90 cm d'intervalle, des dalles aérocrètes doublent les surfaces internes des unités créant ainsi un mur creux d'une épaisseur de 23 cm et des plaques de pouzzolane elles doublaient les cloisons. Le chantier est à l'image je cite "d'une Usine de Henry Ford", puisqu'ils vont faire construire une usine de préfabrication sur place ainsi qu'un monorail permettant la distribution des panneaux de béton. Cette volonté de rationalisation du chantier est due à la loi Loucheur de 1928 sur les programmes de construction des HBM avec la volonté de développer les procédés de préfabrication des bâtiments afin de justement rationaliser le chantier pour réaliser des économies en matériaux et en main d'oeuvre. Plus tard, après la seconde guerre mondiale Marcel Lods critiquera le système des grands ensembles édifiés sur la base de modules alors qu'il a réalisé la même chose à Drancy.
Fonds Lods, Marcel (1891-1978) (et Association Beaudouin et Lods)
1931-1934. Cité de la Muette, Drancy : vue du chantier, n.d. (cliché anonyme).
(
Objet LODS-H-31Dossier 323 AA 631Doc. ML-PHO-048-23-26).
Mais la cite de la muette devint également un modèle de la technologie Française puisque les architectes utilisèrent un système de vide ordure a aspiration Garchey dans tous les bâtiments, les ordures de tous les logements étaient ainsi dirigées vers un incinérateur central.











Annonciatrice des grands ensembles

Fonds Lods, Marcel (1891-1978) (et Association Beaudouin et Lods)
1931-1934. Cité de la Muette, Drancy : vue d'une maquette, n.d. (cliché anonyme).
(
Objet LODS-H-31Dossier 323 AA 406/1Doc. ML-PHO-048-05-13).
La performance technique, où l'on voit pour la première fois émerger l'idée de série et de répétition, répond à une implantation s'inspirant des partis spatiaux des Siedlungen allemandes : les cinq tours de quinze étages et les dix immeubles de trois étages de la cité de la Muette investissent la plaine de manière répétitive puisqu'en effet la répétition et la série ne se retrouve pas uniquement dans la conception de la cité mais également dans la manière dont elle est pensée. Il y a également le fait qu'elle est été conçue pour le plus grand nombre. En effet à l'origine du projet la cité devait pouvoir accueillir jusqu’à 1250 personnes et même si elle a été conçue de manière a en accueillir uniquement 700 cela répondait au volonté des constructions de l'époque a savoir reloger ou loger les sinistrés de la première guerre mondiale tout en désengorgeant les grandes agglomérations comme ici Paris. La deuxième grande caractéristique liée aux grands ensembles est son caractère anti urbain. En effet nous avons évoqué déjà l'éloignement de la cité avec Paris qui était l'une des raisons de sa non-appréciation. La cité a en effet était construite bien au-delà des limites de Paris toujours dans le but de désengorger la cité. Elle sera en cela considérée comme le premier grand ensemble français. Puisqu'en effet ce terme apparait pour la première fois dans un article daté de 1935 dans le revue L'architecture d'aujourd'hui écrit par Maurice Rotival ( 1897-1980) un ingénieur urbaniste Français. Il se sert pour exemple de la Cité de la Muette qu'il considère comme l'un des exemples Français parmi les plus représentatifs de ce mode d'urbanisation. Elle est ainsi représentative de la volonté de résorption des taudis, de la résolution des désordres pavillonnaires, de la question du développement anarchique des banlieues et de l'émergence de nouvelles formes urbaines et architecturales.

Un contexte perturbateur

Les causes de son inachèvement

L'exécution fut stoppée vers 34. Plusieurs partie ne furent pas réalisées puisque des bâtiments a redents situés au nord seul la partie ouest sera construite et des bâtiments comme le centre social, l'école et l'église ne seront tous simplement pas réalises. Ce qui laissa le programme incomplet puisque seulement 700 personnes pouvaient être accueillies. La situation sociale incertaine ainsi que la récession et le chômage des années 30 furent les causes de cet arrêt de chantier. Mais ce ne furent pas les seules puisque les loyers qui étaient trop élevés, les espaces de vies considérées comme trop petit, l'éloignement de Paris ainsi que le manque de transport et de travail auront eux aussi leur rôle dans l'arrêt du chantier. Une cause politique est également responsable puisque la cité suggéré un mode de vie qui serait organisé et communautaire et ce au moment de la montée du Front Populaire. Plusieurs craignent alors des révolutions ouvrières provenant des regroupements dans les cites. En tout cas la crise économique, considérée comme raison majeur, causera l'inachèvement des redents et du U. Malgré un succès dans la presse européenne la cité sera massivement rejetée et ce en raison de ses principes de construction, Léandre Vaillat soulève dans ce sens une opposition entre la pauvreté des matériaux et les installations mécaniques luxueuses. De plus les tours sont massivement rejetés. De nombreux défauts sont mis au jour comme des problèmes d'insonorisation, des malfaçons, un manque d'étanchéité, des cloisons fragiles et des habitations en hauteur avec des problèmes de régulation de température. Henri Sellier sera amené à démissionner à cause du dénigrement de ce type de construction.

Une fonction détournée

Vue intérieure du camp. Le bâtiment en forme de U;
dans le fond la baraque de fouille,
Georges Horan © Archives départementales de la Seine Saint-Denis.
La cité étant peu appréciée des candidats aux logements sa vocation sera remise en cause avant même la fin du chantier. Elle sera louée aux gendarmes de la garde mobile dans la seconde moitié des années 30. Le gouvernement Daladier en 1940 lui accordera une nouvelle fonction comme prison de guerre afin d'isoler les membres du Parti communiste Français ainsi que les personnes non désirées. Enfin aura lieu la page la plus sombre de la cité puisqu'en 1941 le U sera transformée en camp pour les juifs de la région de Paris surveillés par des gendarmes Français. Elle sera transformée en 1942 en camp d'internement et en plaque tournante pour la déportation. La cité accueillera parfois simultanément jusqu’à 7000 personnes, alors qu'elle n'était conçue que pour 700. Plus de 67 000 juifs
seront déportés du camp de Drancy qui deviendra l'unique point de départ de la France. La cité restera jusqu'en 1946 un camp pour les collaborateurs de la guerre.



De nombreuses répercussions

Lors de l'occupation par les gendarmes de la cité ceux-ci vont mal l'utiliser ce qui causera vers 35 la destruction des radiateurs et des canalisations, cependant la faute sera rejetée sur les architectes. Par la suite la cité subira de nombreux actes de vandalisme que déplorera l’architecte Lods. En 1949 le U redevient un logement social est en 1953 la cité est rendue à sa fonction originelle de logement social pour le plus grand nombre. En 1970 la critique architecturale commence à s'intéresser à l'histoire de la Cité de la Muette. En 1977 elle est partiellement détruite, les tours et redents disparaissent pour laisser la place a une nouvelle caserne mais le U survivant à la démolition conservera sa fonction de logement social. Entre 1987 et 1989 c'est la cité du champ des Oiseaux à Bagneux qui est détruite. En 2001 la nomination au titre des monuments historique a cependant un nouvel impact négatif sur la cité puisqu'il empêche la réhabilitation de la cite qui consistait a remplacer les menuiseries de Jean Prouvé, qui avait réalisé les châssis de porte et les fenêtres, par des menuiseries en pvc dans le but d'amplifier le confort thermique et acoustique des locataires de la cité, de plus les locataires sont jugés de par le fait qu’ ils habitent dans ce lieu à l'histoire si sombre. La cité de Drancy se trouve ainsi placée au coeur du problème du culte patrimonial.

Conclusion:

La cité de la Muette sera ainsi nommée au titre des Monuments Historiques comme lieu de
mémoire n'ayant pas fini d'interroger son histoire et en tant que témoin capital de l'architecture sociale préfabriquée. L'agence de Beaudouin et Lods était engagée dans la cause Moderne dans un sens avant-gardiste bien représenté par cette cité inachevée anticipatrice des grands ensembles. Ainsi une précision est à apporter sur le fait que la cité de la muette a marqué l'Histoire de l'architecture Moderne par son coté annonciateur et innovant et a été marquée par l'Histoire de la Seconde Guerre Mondiale. Cependant, Danièle Voldman dit que "la sinistre postérité de l'oeuvre de Beaudouin n'avait pas enlevé à son auteur sa réputation d'architecte modernisateur lorsqu'elle parle de sa nomination pour la réalisation de la Cité de Rotterdam à Strasbourg.

Bibliographie:

  • BOURGON, Anne, La Cité de la Muette à Drancy:ambiguïtés, difficultés et perspectives de l’héritage, Bulletin n°50-51 d’ Icomos France,décembre 2002 
  • COHEN,Jean-Louis, L'architecture du XXe siècle en France,modernité et continuité, Hazan, Paris,2014 ,p.95 
  • COHEN,Jean-Louis(dir.), GROSSMAN,Vanessa, La modernité, promesse ou menace? France 101 bâtiments 1914 -2014 ,Carré, Paris,2014 ,p.62
  • DAGEN,Philippe, HAMON, Françoise (dir.), MINNAERT, Jean-Baptiste, Histoire de l'art, époque contemporaine, Paris, Flammarion, 2011,p.434 
  • FRAMPTON, Kenneth, L'architecture moderne,une histoire critique , Thames & Hudson, Paris, 2009 , p.237 à238 
  • HENRY,Elisabeth, HAMEL,Gérard, Les grands ensembles une architecture du XXe siècle, Carré, Paris, 2011,p.11 
  • KAFKOULA, Kiki,On garden-citylines: looking into social housing estates of interwar Europe, Planning Perspectives,Vol .28 ,No .2,2013 ,p.171 à198 
  • PRIEMUS, Hugo, KROES, Peter, Technical Artefacts as Physical and Social Constructions :The Case of Cité de la Muette, Housing Studies, Vol .23 ,No .5,2008 ,p.717 à 736 
  • UYTTENHOVE, Pieter, Marcel Lods,action, architecture,histoire,Verdier, 2009 ,p.18 à 30 UYTTENHOVE, Pieter, Beaudouin et Lods, Editions du Patrimoine, Paris,2012 ,p.45 à 62 ,188 à 189 
  • VOLDMAN, Danièle, La reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954 ,l'Harmattan, Paris, p.386 
  • http://archiwebture.citechaillot.fr/fonds/FRAPN02_LODS/inventaire/document-13755

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